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Exposition "Ce n'est pas le temps qui passe mais nous", Facteur Cheval, Emile Duchemin, Damien Cadio

Ce n’est pas le temps qui passe mais nous

En janvier dernier, le Palais idéal du facteur Cheval découvre dans le fonds de la Bibliothèque municipale de Grenoble des photographies – inconnues jusqu’alors – prises alors que l’œuvre de Ferdinand Cheval est encore en construction.


En effet, bien qu’il termine son bâtiment en 1912, le facteur Cheval ouvre son Palais idéal à la visite dès 1905. Il met alors en place une billetterie, fait signer un registre des visiteurs, organise des visites et anime son Palais de jeux d’eau. Photographe amateur, Emile Duchemin viendra à plusieurs reprises à quelques mois d’intervalle durant cette période. Passionné par la photographie, le cyclisme et l’automobile, Emile Duchemin (1862-1914) est l’un des premiers à conduire une voiture sur les routes de Grenoble et du Dauphiné. Ce nouveau mode de transport qui le porte hors des sentiers battus lui donne une grande liberté de circulation et lui permet de découvrir de très nombreux lieux.

La découverte de ces images présentées pour la première fois et restaurées pour l’occasion a eu un impact très fort sur la lecture que l’on peut avoir aujourd’hui du Palais idéal du facteur Cheval. Pour la première fois, on se rend compte que Ferdinand Cheval met à jour le solde de son labeur qu’il grave sur la surface du bâtiment. Si aujourd’hui, on peut lire sur le Palais idéal : 1879 -1912, 10.000 journées, 93.000 heures, 33 ans d’épreuves, les photographies de Emile Duchemin montre : 27 ans d’épreuves, 28 ans d’épreuves. Des citations et motifs viennent apparaitre ou disparaitre : le nom des « momies égyptiennes » par exemple, ou encore la citation en arabe. A l’époque, sur le fronton du Temple Egyptien apparait encore le premier nom du Palais idéal : Temple de la Nature. Sur l’angle Nord-Ouest, la dernière réalisation du facteur Cheval, la Pieuvre, commence à apparaitre. Sur l’un des clichés de Emile Duchemin elle est absente, sur un autre on commence à voir un embryon de l’animal marin.

En avril 2023, l’angle Nord-Ouest entre justement dans une phase de restauration menée par les Ateliers Bouvier (les restaurateurs uniques du Palais depuis de nombreuses années) en collaboration avec architectes des Bâtiments de France et conservateurs du patrimoine. Là encore, la découverte des photographies de Emile Duchemin a joué un rôle décisif. Pour la première fois, des photographies d’époque, d’une grande qualité permettaient de révéler certains détails disparus du fait de l’érosion du bâtiment. Grâce aux photographies, ces détails ont pu être restaurés. Ce même chantier a permis aux restaurateurs de s’intéresser à la polychromie du Palais idéal. Ferdinand Cheval utilisait des pigments pour donner de la couleur à son œuvre, et jouait des contrastes sur son architecture. Aujourd’hui, grâce à ce dernier de chantier de restauration d’une durée de deux mois et demi, cette partie de l’œuvre du facteur Cheval est au plus proche de ce qu’elle devait être de son vivant.

L’exposition Ce n’est pas le temps qui passe mais nous vient évoquer cette aventure et illustrer ces notions du temps qui s’écoule, de la fragilité des œuvres, du cours des choses…

Au centre de l’exposition la Pieuvre archives (Labrouste) de Bachelot & Caron vient matérialiser tous ces concepts. Très fragile car en céramique, ce Poulpe – animal connu pour être l’un des plus intelligents – vient amasser sous lui des documents pour les conserver. Sa couleur n’est pas non plus sans rappeler celle utilisée par Ferdinand Cheval dans son Palais. Le facteur Cheval aimait mettre en avant son bestiaire. Au sein du Palais les animaux sont les éléments auquel il vient donner de la couleur ou du contraste. Est-il besoin de le redire : la Pieuvre est l’élément qui vient achever la construction du Palais idéal !

Si une œuvre fait écho au Temple de la Nature du facteur Cheval. C’est bien celle de Marinette Cueco. Herbiers, entrelacs de plantes graphiques, pierres habillées de jonc : le végétal et le minéral sont pour Marinette Cueco la matière d’œuvres plastiques dont le processus lent et méthodique s’inscrit véritablement dans la tradition du tissage. Marinette Cueco développe depuis les années 1960 une œuvre singulière qu’elle inscrit à la fois dans la nature et dans l’éphémère. Avec des matériaux bruts glanés dans la campagne au cours de longues marches, elle compose des œuvres et installations in situ ou dans son atelier.

Maçonne, sculptrice, féministe, illustratrice, peintre, antiquaire, plasticienne, écrivaine… Lena Vandrey a glané autour d’elle matériaux et sensations pour créer. Les œuvres présentées dans l’exposition sont un don de Mina Noubadji-Huttenlocher, la veuve de l’artiste, au Palais idéal du facteur Cheval. Elle explique : « Lena est une glaneuse, elle récupère tout – portes, fenêtres, bouts de bois, objets sacrés, antiquités, végétaux, pigments, cire et même des animaux… » Puis elle coupe, recompose, superpose, colle et agrège pour créer une œuvre unique : « Chaque œuvre d’art, chaque objet, chaque sculpture, chaque tableau ancien, chaque fenêtre et chaque mur était la condition d’une expression poétique ». Lena Vandrey dormait peu, ce qui fait écho aux nuits sans sommeil que le facteur Cheval consacrait à construire sans relâche son palais idéal. Récupérer les matières et les matériaux abandonnés pour leur donner un autre sens, consacrer sa vie à bâtir dans une contrée hostile, malgré les quolibets des voisins face à un projet à leurs yeux farfelu, voir la reconnaissance venir a posteriori et susciter l’estime pour une œuvre qui leur survit… Voici autant d’éléments qui viennent relier Lena Vandrey et Ferdinand Cheval.

Œuvres magistrales de l’exposition, les peintures de Damien Cadio, de facture classique, explorent l’ordinaire – un livre ouvert, des fleurs oubliées dans un vase – pour nous révéler l’étrangeté et la dimension extraordinaire qui peuvent se loger dans un détail. « Je cherche des images a priori banales – car encore une fois la violence n’est jamais loin – et l’attention à leurs détails fait surgir d’un environnement simple les indices d’évènements extraordinaires ». Il s’agit bien là d’un des propos de l’exposition Ce n’est pas le temps qui passe mais nous, au sein de laquelle – comme au sein du Palais idéal – une multitude de découvertes sont possibles au visiteur qui voudra bien se laisser aller à prendre le temps de l’émerveillement et de la surprise.

Partenaires

L’exposition Ce n’est pas le temps qui passe mais nous a été rendue possible grâce à la Bibliothèque municipale de Grenoble pour les photographies de Emile Duchemin ; la Galerie C pour les œuvres de Damien Cadio ; la Galerie Olivier Castaing — Team School Gallery pour l’œuvre de Bachelot & Caron ; la Galerie Univer pour l’œuvre de Marinette Cueco.