Le Parfum des absents

Au cœur du Palais idéal du Facteur Cheval, l’œuvre de Florian Mermin trouve un écho immédiat. Comme une conversation à travers les siècles, ses sculptures viennent hanter les alcôves minérales du monument avec leurs matières charnelles, leurs métamorphoses botaniques et leurs présences animales.
Intitulée Le Parfum des absents, cette nouvelle exposition prolonge l’exploration initiée par l’artiste lors de son précédent dialogue avec l’œuvre de Leonor Fini : un monde peuplé de figures hybrides, de créatures silencieuses, de symboles équivoques.
Florian Mermin façonne des pièces comme on érige des tombeaux d’amour ou des autels de souvenirs. Ses céramiques monumentales, aux allures de totems organiques, évoquent à la fois des reliquaires, des urnes ou des chrysalides. L’ornement y est blessure, la matière y devient mémoire. Insectes, fleurs, épines et ailes se confondent, convoquant un univers sensuel et funèbre, à la frontière de l’animal, du végétal et du sacré qui n’est pas sans faire penser aux contes parfois glaçants qui ont bercés notre enfance.
Le titre de l’exposition entre en résonance directe avec une des phrases gravées par Ferdinand Cheval sur son Palais : « Les morts ne sont pas les absents, mais les invisibles. » En convoquant Le Parfum des absents, Florian Mermin redonne forme, odeur et densité à cette invisibilité. Le parfum, invisible mais persistant, devient ici le symbole d’une présence autre, fragile mais tenace. C’est une manière d’honorer ces figures disparues qui continuent d’habiter le monde sensible, dans les replis de la matière et des songes.
Dans l’une des sculptures, une immense rose semble éclore majestueusement — mais derrière ses pétales s’abrite une araignée. Tapie, dissimulée, elle incarne une menace sourde autant qu’une métaphore. Car au-delà de son caractère inquiétant, l’araignée est aussi tisseuse : figure de patience, de constance, de minutie. Elle évoque le temps long, le geste répété, l’obstination silencieuse du fil qui se tend. À sa manière, elle incarne la même énergie que celle du Facteur Cheval : un travail solitaire, acharné, de construction fragile et obstinée. La toile de l’araignée, ici figée dans la terre, comme le Palais, est un monde tissé, motif par motif, pour retenir un souvenir, un rêve, ou une disparition.
D’autres symboles, comme le papillon ou la rose, viennent nourrir cette ambivalence propre à l’univers de Florian Mermin. Le papillon, fragile et sublime, naît d’un corps larvaire disgracieux avant de s’épanouir pour une vie brève, mais éclatante. La rose, elle, est l’offrande par excellence — fleur d’amour, de fête ou de passion — mais elle est aussi celle que l’on dépose sur les tombes. Ces figures, en apparence opposées, incarnent à la fois l’émerveillement et le deuil, la naissance et la fin. En les réunissant dans ses sculptures, Florian Mermin ne les oppose pas : il les tresse, les lie, les fait coexister dans une même tension poétique, où chaque beauté porte sa propre ombre.


Sans se décrire comme céramiste, la céramique est le médium de prédilection de Florian Mermin : matière du foyer, de l’archaïque, de l’intime, elle devient ici monumentale, parfois même monument fragmenté. Certaines sculptures représentant notamment des papillons de grande taille sont volontairement brisées, fendues ou fissurées : elles semblent émerger d’un sol archéologique, comme des vestiges d’un culte ancien oublié. Ces formes éclatées convoquent l’idée de ruine, de fragilité durable, et témoignent d’une beauté née dans l’effort et la transformation.
Au Palais idéal, les œuvres dialoguent avec l’imaginaire foisonnant et sans limite de Ferdinand Cheval. Comme lui, Florian Mermin érige ce qui pourrait être les morceaux d’un temple où chaque forme est le fragment d’un songe. Mais ici, ce sont les absents qui parlent — à travers la fêlure d’un motif, le velouté d’un pétale figé, l’élan d’une patte griffue surgissant de la terre.
Entre sculpture votive, installation baroque et cabinet de curiosités post-apocalyptique, Le Parfum des absents devient un rituel : un dispositif pour les disparus, les invisibles, les corps en métamorphose. Un hommage à celles et ceux dont la trace persiste dans la matière ou dans les cœurs.